Analyser les procédés, réguler et bien mesurer : quels gains d’efficacité énergétique attendre des systèmes de contrôle et de régulation ?
La plupart des industriels ont lancé une démarche de décarbonation depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, afin de répondre aux objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone. L'année 2022 a marqué un tournant : aux enjeux climatiques s'ajoutent désormais l'explosion des coûts de l'énergie et les aléas d'approvisionnement. Les feuilles de route visant la neutralité carbone à horizon 2050 doivent être complétées par des actions rapides et efficaces à très court terme. Parmi elles, la régulation et l'optimisation du contrôle commande deviennent des leviers clés.
Jean-François LUCAS, Responsable marché procédés et transition énergétique industrielle au CETIAT et Joëlle Mallet, Responsable activité procédé industriel et contrôle avancé, IRA by SOMEFORM.
Pas de régulation sans mesure, pas de mesure sans connaissance du procédé industriel
Aux risques d'enfoncer des portes ouvertes, il n'y a pas de régulation sans mesure. Le régulateur doit disposer d'une information extérieure pour opérer. La qualité de la mesure est le premier garant d'une bonne régulation et celle-ci nécessite :
- De bonnes compétences en instrumentation et métrologie
- Une connaissance fine du procédé : celui-ci doit être analysé – quelles sont ses composantes, à quelles grandeurs physiques fait-il appel… - pour déterminer sur quelles variables la régulation devra s'appuyer
Viennent ensuite les interrogations sur la position des capteurs et leur incertitude.
Prenons un exemple concret : contrôler l'efficacité d'un séchoir consiste à mesurer l'humidité à l'intérieur du séchoir et sa progression tout au long du process de séchage. Où mesurer cette humidité ? Est-elle homogène sur l'ensemble de la surface de séchage ? Dans le cas contraire, où est-elle la plus représentative ? Est-on capable de directement mesurer l'humidité à l'intérieur du séchoir ou faut-il passer par des unités de mesure indirectes, comme la température ou l'humidité de l'air extrait ?
Cet état des lieux du procédé industriel est indispensable pour bien positionner les capteurs et déterminer sa stratégie de régulation. Réfléchir à l'instrumentation dès la conception d'un procédé impose de le comprendre pour bien le piloter : l'investissement supplémentaire à cette étape est largement rentabilisé par les gains sur la maîtrise du procédé. Si, pour des raisons budgétaires, l'impasse est faite sur la qualité de la mesure et si le contrôle est mis en place à partir d'approximations, les actions correctives nécessaires une fois l'installation réalisée seront bien plus coûteuses.
Il est donc préférable d'adapter le système de mesures dès la conception du procédé, que ce soit sur le nombre de points de mesure retenus à un instant t ou que ce soit par le nombre de mesures réalisées dans le temps sur le même point. Il conviendra également de prévoir un retour sur la consommation énergétique du procédé idéalement sous forme d'indice de performance énergétique (IPÉ).
Une régulation optimisée, gage d'un ROI rapide
La régulation a pour objectif de maintenir la mesure autour d'une consigne, avec une maîtrise la plus pointue possible de l'écart-type.
Bien réalisée, elle est une source importante d'économie d'énergie et permet de développer des boucles vertueuses : une régulation optimisée implique de facto une bonne connaissance du procédé et permet de réduire la sollicitation des actionneurs, de gagner en rendement ou d'éviter que des variations importantes au sein du procédé ne dégradent le produit final… Autant de bénéfices facilement accessibles pour les industriels : les frais se limitent aux études et à la formation des équipes, aucun investissement lourd de transformation de la chaîne de production ne doit être engagé et l'amortissement est donc rapide.
Le réglage du régulateur, un exercice complexe qui conditionne les gains énergétiques
Selon la complexité du procédé à réguler et les besoins d'efficacité exprimés par le site industriel, plusieurs types de régulation peuvent être mis en œuvre : régulation PID[1], régulation en cascade, régulation prédictive …
Le choix du système de régulation et son réglage s'appuient sur plusieurs critères : le type de procédé, la précision des capteurs, l'inertie du système, le besoin de robustesse face à des modifications rapides et importantes de la production… Dans certains procédés, l'optimisation du procédé passera par plusieurs régulations en cascade.
Illustrons de nouveau avec un cas concret : une ligne de production de peinture. Pour atteindre le niveau de réticulation souhaité, la température doit atteindre 160°. Pour plus de simplicité et garantir que certaines zones du four ne descendent en dessous de cette température de consigne, dans un contexte d'énergie peu coûteuse, les fabricants peuvent être amenés à surchauffer à 180 ou 200°. Aujourd'hui, cette stratégie n'est compatible ni avec les enjeux environnementaux ni avec la maîtrise des coûts de production pour l'entreprise. La régulation doit lui permettre de chauffer « au juste nécessaire » et ceci de manière homogène pour l'ensemble du volume du four.
La qualité des spécifications est aussi un facteur clé de la régulation : par exemple, des spécifications permettant des écarts-types trop importants autour de la consigne laissent la température augmenter au-delà du nécessaire et de fait engendrent des surconsommations d'énergie.
Les valeurs servant de référence pour la régulation doivent aussi être définies. Même lorsque les machines sont mises sur le marché avec des capteurs, la nécessité de préciser l'objectif de la régulation reste vraie : souhaite-t-on produire à une cadence définie ? Ou maîtriser le budget « énergie » de la production, auquel cas la régulation pourra proposer d'augmenter ou de réduire la cadence lorsque le coût de l'énergie évolue afin de rechercher un optimum ?
Qu'attendre de la commande prédictive ?
La commande prédictive permet d'augmenter les possibilités de la boite à outils de base pour la régulation, sans chercher à éliminer les régulations PID qui donnent satisfaction.
La régulation PID agit lorsqu'elle constate un écart entre la consigne et la mesure. La commande prédictive prend en compte cet écart bien sûr mais également la sortie d'un modèle qui est le reflet du comportement du système.
La démarche peut être interprétée comme le comportement d'un opérateur humain : lorsqu'un opérateur conduit un four industriel par exemple, il prend en compte l'écart entre la consigne et la mesure, mais en plus, connaissant le comportement de son four, il sait adapter son action pour que la mesure suive l'évolution qu'il souhaite dans le futur.
La prise en compte de ces deux composantes (écart de régulation et sortie du modèle) dans le calcul de la commande donne des comportements très différents de ceux du PID, en particulier sur les procédés réagissant avec un grand retard pur.
Le signal de commande d'un régulateur PID peut être très sollicité et générer des perturbations pour les boucles en aval alors que le signal de commande d'une régulation prédictive est très doux.Par conséquent la commande prédictive sait parfaitement s'adapter lorsque les conditions de production varient alors que le régulateur PID devint rapidement instable.
La commande prédictive est parfaitement adaptée à des procédés à retard important, des procédés non linéaires. Elle n'exclut pas le PID mais complète parfaitement les outils du régleur. Ses bénéfices sont multiples : réduire la sollicitation de l'actionneur, gagner en précision, minimiser les écarts-types consigne - mesure.
La technique ne serait rien sans l'humain
L'intervention des experts pour optimiser des boucles de régulation s'appuie sur les équipes en place : les automaticiens, les spécialistes du procédé, les spécialistes du réglage et de l'instrumentation… La régulation mobilise de nombreuses compétences et le lancement d'un projet d'optimisation permet à chacun de réaliser l'importance de son métier et ses interactions avec les autres pour atteindre les résultats souhaités.Déployer une nouvelle stratégie s'accompagne toujours de la constitution d'une équipe projet, de l'explication à cette équipe de la démarche mise en œuvre. Elle est associée aux expérimentations, chacun voit les conséquences de ses actions sur les résultats de la démarche globale : une vraie confiance s'établit entre les membres de l'équipe projet, dans la qualité de la mesure, dans la pertinence du positionnement des capteurs… l'avancement se fait par itération avec toute l'équipe. Celle-ci est également formée pendant la mise en œuvre de l'optimisation, afin d'être autonome après le départ des experts.
A l'heure où les évolutions rapides des technologies pourraient laisser croire que les compétences humaines passeront au second plan, il faut rappeler que bien au contraire, pour apporter une pleine contribution à la décarbonation de l'industrie, la régulation devra être appuyée par un approfondissement de la connaissance des procédés et les optimisations devront être réinterrogées sans cesse pour être améliorées… La formation des jeunes ingénieurs, afin qu'ils acquièrent la capacité à sortir des modèles existants et participent pleinement à la dynamique de l'industrie verte du futur, est un des enjeux clés pour demain.
[1] Régulation PID :
- Proportionnelle : elle consiste à corriger instantanément l'écart entre la mesure observé et la consigne.
- Intégrale : elle complète la régulation proportionnelle en apportant la précision de la boucle de régulation, en annulant l'écart de régulation
- Dérivée : elle permet d'anticiper les variations rapides et ainsi d'améliorer la stabilité du système
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